Chapitre 4

 

BEAUCOUP DE ROUTES MENANT

À BEAUCOUP D’ENDROITS

 

 

À l’ombre du chambranle, curiosité piquée au vif, Entreri écoutait un soliloque dont les tenants et les aboutissants, pour une grande part, lui échappaient. Pourtant… Jarlaxle parlait à une vitesse anormale. En plus de sa maîtrise limitée du vocabulaire drow, Entreri était trop loin pour tout saisir.

À un moment, le chef des mercenaires parut vouloir convaincre quelqu’un, ralentissant légèrement son flot de paroles.

Artémis tendit encore l’oreille.

— Ils ne nous devanceront plus longtemps, car nous les battrons de vitesse. Oui, rue après rue, leur hégémonie sera battue en brèche… Une fois que nous serons unis, qui pourra encore se dresser contre nous ?

Une fois que nous serons unis ? se répéta le tueur, sidéré, afin de s’assurer qu’il avait correctement interprété ces paroles. Nous ?

Jarlaxle ne parlait pas de son alliance avec lui, Entreri. Ni même avec les survivants de la guilde Basadoni… Impossible ! Qu’étaient quelques humains, même doués, comparés à une force comme Bregan D’aerthe ? Jarlaxle aurait-il conclu d’autres alliances, à l’insu d’Artémis ? Un marché passé avec un pacha quelconque ou… mieux encore ?

Le tueur tendit l’oreille de plus belle, à l’affût de noms de démons, de diables… ou d’illithids, peut-être. Il en frémit d’avance. Les démons étaient trop imprévisibles et féroces pour faire des alliés fiables. Ils agissaient en fonction de leurs seuls intérêts du moment. Peu leur importait tout le reste… Les diables étaient plus prévisibles – trop. Dans leur conception pyramidale de l’autorité, ils devaient forcément se situer au sommet.

Mais comparés aux illithids, les diables et les démons devenaient presque… fréquentables ! Entreri se surprit à espérer entendre mentionner un démon quelconque… Histoire d’être rassuré… Lors de son « interlude » à Menzoberranzan, il avait été forcé de composer avec les illithids, les incontournables flagelleurs mentaux de la société drow… À aucun prix il n’aurait voulu revoir un de ces horribles bipèdes à tête de pieuvre !

Il continua à écouter. Jarlaxle parut se calmer, confortablement calé au fond de son siège. Il continuait à marmonner des phrases sans suite à propos de la chute imminente des Ratisseurs quand Entreri fit son entrée.

— On est seuls ? lança-t-il, en toute innocence. J’avais cru entendre des voix.

Soulagé, il constata que, ce jour-là, Jarlaxle ne portait pas son bandeau magique sur un œil… L’éventualité d’une rencontre avec des illithids était donc à écarter. Le bandeau protégeait son porteur de la magie mentale. Or, nul au monde n’était supérieur en ce domaine aux terrifiants flagelleurs.

— Je procédais à une mise au point, répondit le drow en commun. (Il le parlait maintenant aussi couramment que sa langue maternelle.) Il y a tant à faire.

— Et beaucoup de dangers à éviter.

— Pour certains…, gloussa Jarlaxle.

Entreri eut l’air dubitatif.

— Vous ne pensez pas que l’élimination des Ratisseurs nous posera le moindre problème ? s’écria Jarlaxle, incrédule.

— Pas dans un conflit ouvert, non… Pourtant, depuis des années qu’ils fuient les affrontements déclarés, justement, ils ont toujours réussi à survivre.

— Pure question de chance.

— Pure question de protection, rectifia Entreri. Si un géant veille sur lui, un homme n’a pas besoin d’être physiquement fort.

— À moins que le géant se pique d’amitié pour un rival de son protégé…, riposta Jarlaxle. Et les géants ont un cœur d’artichaut, c’est bien connu.

— Vous avez tout arrangé avec les hauts seigneurs de Portcalim ? insista Entreri, sceptique. Qui ? Et pourquoi n’ai-je pas été impliqué dans les négociations ?

Jarlaxle se contenta de hausser les épaules.

— Impossible ! décida l’humain. Même si vous les menaciez, les Ratisseurs sont trop ancrés au cœur du réseau de pouvoir du Calimshan. Ils ont des alliés pour les protéger d’autres alliés ! Même Jarlaxle et Bregan D’aerthe ne pourraient balayer l’opposition face à un changement aussi radical que l’élimination des Ratisseurs du paysage politique de cette contrée !

— Je me suis peut-être allié à la créature la plus redoutable que l’on ait jamais vue à Portcalim.

Une déclaration typiquement sibylline et mélodramatique.

Le front plissé, Entreri dévisagea son agaçant interlocuteur, à l’affût du moindre indice. Que pouvait augurer ce comportement anormal ? Jarlaxle était souvent énigmatique et en quête de pouvoir ou de profit. Pourtant… Quelque chose clochait. De l’avis d’Entreri, s’attaquer aux Ratisseurs était une grossière erreur de stratégie. Du genre que le chef légendaire de Bregan D’aerthe n’irait jamais commettre. D’évidence, le drow avait dû s’allier à quelque monstrueuse puissance pour vouloir à ce point brûler les étapes. Ou il détenait des éléments qu’il était seul à connaître…

Douteux. Entreri, contrairement à Jarlaxle, connaissait à fond les rues de Portcalim.

Admettre l’une de ces possibilités n’expliquait pas tout. Jarlaxle était d’une folle arrogance – naturellement ! –, mais il n’avait jamais fait montre d’une telle assurance. Surtout en des circonstances aussi instables. Tout ça sonnait faux.

Après la chute des Ratisseurs, la situation, déjà explosive, basculerait dans l’apocalyptique. Entreri était bien placé pour juger des talents sanguinaires des elfes noirs. Bregan D’aerthe massacrerait la guilde rivale, ça ne faisait pas l’ombre d’un doute. Mais quelles conséquences découleraient de cette victoire ? À coup sûr, il y aurait trop de retombées pour que Jarlaxle affiche cette tranquille assurance.

— Votre rôle a été déterminé, Artémis ?

— Nullement. (Et Entreri s’en félicitait.) Rai-guy et Kimmuriel m’ont pratiquement éjecté de l’affaire.

Jarlaxle éclata de rire. L’humain était si transparent !

Entreri le regarda fixement sans esquisser le moindre sourire. Le drow devait avoir conscience des dangers avec lesquels il flirtait. De la situation potentiellement catastrophique qui risquait de les renvoyer, lui et Bregan D’aerthe, dans les entrailles de la terre, à Menzoberranzan. Il s’agissait donc de cela, s’amusa l’assassin. Se pouvait-il que Jarlaxle se languisse de son foyer au point de faciliter ainsi sa chute ?

L’envisager suffit à faire frémir Entreri. Il préférait cent fois que le mercenaire le tue ici et maintenant plutôt qu’il l’entraîne de nouveau sous terre.

Entreri deviendrait-il l’agent permanent de Bregan D’aerthe, au même titre que Morik à Luskan ? Non. Ça ne suffirait pas. Portcalim était plus dangereuse que Luskan. Et si Bregan D’aerthe était écarté de la scène, il ne prendrait pas de tels risques. Trop d’ennemis rôdaient dans les parages.

— Ça commencera bientôt, si ce n’est pas déjà fait, ajouta Jarlaxle. Ce sera donc vite fini.

Plus que tu crois, pensa le tueur.

Il se garda de tout commentaire.

Il survivait par la seule grâce de son esprit froidement analytique, acharné à peser les conséquences de chaque mot et de chaque geste. Certes, Jarlaxle et lui étaient du même bord. Pourtant, ce soir-là, Entreri avait du mal à reconnaître en lui le drow qu’il fréquentait d’assez longue date. Il avait beau examiner l’affaire sous tous les angles, ce pari restait à ses yeux une mesure aussi casse-cou qu’injustifiée.

Que savait donc Jarlaxle qu’il ignorait ?

 

***

 

Nul n’aurait paru davantage hors de son élément que Sharlotta Vespers en train de descendre les barreaux d’une des bouches d’égout de Portcalim. Impeccablement coiffée, elle était vêtue de sa longue robe de prédilection. Ses grands yeux marron en amande soulignés au pinceau accentuaient sa beauté exotique. Pourtant, quiconque la connaissait n’aurait pas été surpris de la voir là.

Surtout compte tenu de son escorte.

— Des nouvelles de là-haut ? s’enquit Rai-guy en s’exprimant rapidement en drow.

Malgré ses réserves à propos de Sharlotta, il restait impressionné par ses progrès linguistiques fulgurants.

— Des tensions, répondit-elle. Cette nuit, les guildes se sont verrouillées à double tour. Même le Cuivre Ante a refoulé sa clientèle. Un événement sans précédent ! La faune des rues a conscience qu’il se trame quelque chose.

Rai-guy jeta un regard sombre à Kimmuriel. Tous les deux venaient d’en convenir : leurs plans dépendaient principalement de l’élément de surprise et de la discrétion. La guilde Basadoni et Bregan D’aerthe devraient simultanément remplir leurs objectifs pour éliminer un maximum de témoins gênants.

On se serait presque cru à Menzoberranzan ! Là, un raid contre une Maison rivale – une chose courante – était un succès uniquement s’il ne restait pas de témoin, quelle que soit l’issue du combat. Même si chacun savait pertinemment qui étaient les agresseurs, aucune action ne serait entreprise sans preuves accablantes.

Mais Portcalim n’était pas Menzoberranzan. À la surface du monde, des faisceaux de présomptions suffisaient à ouvrir une enquête. Chez les drows, le doute sans preuves incitait uniquement à prier.

— Nos guerriers sont en place, fit remarquer Kimmuriel. Ils sont sous les maisons des guildes, en forces suffisantes pour faire des ravages. Les soldats Basadoni ont cerné les trois principaux bâtiments. Tout se déroulera très vite, car les humains ne prévoiront jamais une attaque venue de sous leurs pieds.

Sharlotta leva un sourcil – un détail qui n’échappa pas à Rai-guy. Bregan D’aerthe, trahi… ? Les Ratisseurs, prévenus, avaient-ils levé des défenses contre toute attaque venant d’en bas ?

— Sharlotta, les agents ont été isolés ? demanda le magicien.

Il faisait allusion à la première phase de l’invasion : le combat contre – ou plutôt l’élimination – des espions en place sur le terrain.

— Les agents resteront introuvables, répondit Sharlotta sur le ton de la conversation.

Un calme surprenant au regard de l’énormité de l’opération et de ses implications.

Rai-guy jeta un autre coup d’œil à Kimmuriel.

— Tout est en place, assura le psionique.

— L’essaim de Keego obstrue les tunnels, répondit le magicien.

Une expression drow archaïque renvoyant à une bataille du passé : un monstrueux « essaim » de gobelins commandé par l’ingénieux esclave rebelle Keego avait été exterminé par les drows d’une modeste agglomération. Les elfes noirs s’étaient déployés dans les boyaux entourant leur bourg…

En d’autres termes, étant donné la situation, tout était en place pour livrer… la mauvaise bataille.

Sharlotta regarda le magicien d’un air intrigué, et celui-ci en comprit la raison. Les mercenaires de Bregan D’aerthe embusqués dans les tunnels, sous les maisons des Ratisseurs, ne constituaient vraiment pas un « essaim » digne de ce nom.

Fallait-il le préciser ? Rai-guy se moquait royalement que Sharlotta comprenne ou pas.

— Avons-nous retrouvé la trace des agents portés disparus ? lui demanda le magicien. Savons-nous où ils ont fui ?

— Ils se terrent sans doute chez eux, répondit la jeune femme. Peu d’entre eux se baladent encore dans les rues, cette nuit.

Une fois de plus, une allusion pas si fine au fait que trop d’éléments avaient été prématurément dévoilés… Sharlotta avait-elle trahi ses nouveaux alliés ? Rai-guy repoussa l’envie de l’interroger sur-le-champ à l’aide de techniques de torture aptes à briser rapidement toute résistance humaine. Il aurait à en répondre devant Jarlaxle, et il n’était pas prêt pour ce genre de confrontation…

Pas encore.

S’il annulait l’opération à cet instant critique – la guilde Basadoni et les elfes noirs revenant sans avoir versé le sang de leurs rivaux –, Jarlaxle ne serait pas ravi non plus. Sourd aux protestations comme aux réserves de ses lieutenants, Jarlaxle entendait lancer sa conquête.

Rai-guy ferma les yeux et envisagea la situation sous l’angle de la logique, en quête de bases plus solides et plus sûres. Une des maisons des Ratisseurs était isolée, et sans doute peu gardée. Si la détruire compromettrait peu l’efficacité de la guilde rivale, cela contenterait peut-être Jarlaxle, dans l’immédiat.

— Qu’on rappelle les soldats Basadoni, ordonna le magicien. Et que leur repli ne passe pas inaperçu. Certains descendront au Cuivre Ante et dans d’autres établissements du genre.

— Le Cuivre Ante est fermé, rappela Sharlotta.

— Rouvrez-le ! ordonna Rai-guy. Vous direz à Dwahvel Tiggerwillies que son clan de minus et sa clientèle n’ont rien à craindre cette nuit. Que nos soldats mènent grand tapage dans les rues. Pas par bataillons entiers, mais par petits groupes, surtout.

— Et Bregan D’aerthe ? s’inquiéta Kimmuriel.

Il semblait pourtant moins angoissé que Rai-guy – qui venait de son propre chef d’annuler les ordres explicites de Jarlaxle – l’aurait cru…

— Qu’on redéploie Berg’inyon et nos jeteurs de sorts en huitième position, répondit le magicien.

Il se référait au quartier des égouts, sis sous la maison des Ratisseurs visée.

Kimmuriel fronça ses sourcils blancs. Ils savaient qu’ils ne rencontreraient que peu de résistance de cet avant-poste isolé, et il ne semblait guère que Berg’inyon et d’autres lanceurs de sorts soient nécessaires pour investir cet objectif ridicule.

— Il faudra l’anéantir aussi efficacement que si nous attaquions la Maison Baenre elle-même, exigea Rai-guy. (Les sourcils de Kimmuriel se perdirent sous sa frange.) Il s’agit de revoir nos plans et de redéployer en conséquence les effectifs nécessaires à leur application.

— Pour réaliser pareil « exploit », nos esclaves kobolds feraient aussi bien l’affaire, lâcha le psionique.

— Pas de kobolds et pas d’humains ! répondit Rai-guy le plus sérieusement du monde. C’est un travail à réserver aux nôtres.

Soudain, Kimmuriel comprit ce qui sous-tendait le raisonnement de son camarade. Un sourire éclaira son visage. Après un coup d’œil à Sharlotta, il hocha la tête, ferma les yeux et utilisa ses pouvoirs mentaux pour contacter Berg’inyon et les autres commandants de Bregan D’aerthe, sur le terrain.

Rai-guy dévisagea Sharlotta. En sa faveur, l’expression et le maintien de la jeune femme ne trahirent rien de ses sentiments. Pourtant, elle se demandait forcément s’il en était venu à la soupçonner de collusion avec les Ratisseurs…

— Vous avez dit que notre force de frappe se révélerait écrasante, rappela Sharlotta.

— Pour cette nuit, peut-être, répondit Rai-guy. Un voleur sage ne dérobe pas l’œuf si cela risque de réveiller le dragon.

Sharlotta continua à le regarder et de se poser des questions, il en était certain. Coupable ou non, cette fine mouche de Sharlotta était maintenant angoissée… Une chose qu’il savoura pleinement. Elle fit mine de grimper l’échelle donnant sur l’extérieur.

— Où allez-vous ? demanda Rai-guy.

— Rappeler les soldats Basadoni.

Une évidence, à son ton…

Secouant la tête, Rai-guy lui ordonna de rester.

— Kimmuriel transmettra le contre-ordre.

Sharlotta hésita. Le magicien se régala de la voir nager dans la confusion et l’inquiétude. Mais elle finit par obtempérer.

 

***

 

Berg’inyon en crut à peine ses oreilles… À quoi bon lancer une offensive de cette envergure si c’était pour passer à côté du fief ennemi ?

Bien sûr, à Menzoberranzan, une société éminemment matriarcale, les mâles apprenaient à obéir sans discuter. Ce que fit Berg’inyon. Dans la Première Maison de Menzoberranzan, il avait suivi un entraînement tactique hors pair. Et cette nuit-là, il disposait d’atouts écrasants pour mener à bien sa mission : anéantir une habitation isolée des Ratisseurs… Un avant-poste situé en zone hostile.

Bien… En dépit du surprenant changement de tactique et de ses réserves sur le sujet, Berg’inyon Baenre eut un sourire carnassier.

Les éclaireurs drows – des experts en matière de discrétion – se présentèrent au rapport. Quelques instants plus tôt à peine, ils s’étaient introduits dans la maison visée grâce à des tunnels forés par magie.

Ils firent leur rapport dans le langage des signes des drows.

Sa confiance retrouvée, Berg’inyon sentit aussi grimper en flèche son incompréhension viscérale de la situation. Au-dessus de leur tête, il y avait au plus une vingtaine d’humains – et pas un magicien. Selon les éclaireurs, il s’agissait d’une simple réunion de seconds couteaux et de petites frappes minables. Des cafards de l’ombre.

Avec des drows dans les parages… Pas de chance pour les cafards !

Alors que Berg’inyon et son armée avaient une idée précise des forces qu’ils allaient devoir affronter dans maison au-dessus d’eux, les humains étaient loin de se douter du fléau qui allait fondre sur eux… par en dessous.

— Vous avez indiqué aux commandants toutes les issues de secours ? demanda Berg’inyon par signes.

En utilisant la main gauche, il précisait sans la moindre ambiguïté possible qu’il parlait de possibilités de fuite pour l’ennemi.

— Les magiciens se sont déployés en conséquence, répondit un éclaireur.

— Les chefs ont leur feuille de route, ajouta un autre.

Berg’inyon hocha la tête, lança les opérations et rejoignit son groupe d’assaut, celui qui s’engouffrerait le dernier dans la place – et qui gagnerait le premier le sommet de la maison. Il avait deux magiciens avec lui. L’un se concentrait, les yeux fermés, prêt à transmettre le signal. L’autre gardait les yeux et les bras levés vers la voûte. Il serrait dans son poing une bonne quantité de poudre de tallophytes selussi – une spécialité d’Outreterre.

— L’heure a sonné !

Le murmure résonna par magie le long des parois, atteignant les oreilles de tous les drows.

Au fil de ses arabesques, le jeteur de sort, qui ne quittait pas la voûte des yeux, décrivit des demi-cercles, les pouces et les annulaires joints, sans cesser de psalmodier.

Son incantation s’acheva sur un sifflement.

Il leva un index.

La zone de la voûte ainsi désignée fluctua, ses contours ondulant comme si le magicien venait de plonger une main dans de l’eau. Il garda la pose quelques secondes. Les rides concentriques s’accentuèrent jusqu’à ce que la pierre se brouille…

Et se volatilise, remplacée par un boyau qui traversait les fondations de la maison pour atteindre le rez-de-chaussée.

Le sol se dérobant littéralement sous ses talons, un Ratisseur pris au dépourvu battit vainement l’air de ses bras pour tenter d’échapper à une chute mortelle… Les guerriers drows se mirent en position sous le trou et bondirent dans sa direction. Grâce à leur don de lévitation, les guerriers s’élevèrent dans le boyau.

Le premier attrapa l’homme par le col, freinant sa dégringolade. Aussitôt, le Ratisseur qui avait habilement amorti sa rude réception d’un roulé-boulé se releva d’un bond, dague dégainée.

Et blêmit… Des elfes noirs – des drows – étaient en train d’envahir sa maison ! L’un d’eux, tellement beau et vigoureux, lui fit face et brandit la lame la plus affûtée qu’il ait jamais vue.

Et s’il proposait de se rendre… ? De raisonner avec l’elfe noir ? Mais son corps, paralysé d’effroi, ne lui obéissait plus.

Il réussit pourtant à dégainer son couteau tandis qu’il articulait quelques mots…

Berg’inyon comprenant mal la langue des habitants de la surface, il ne saisit pas les intentions de l’humain.

Et peu lui importait. D’une simple frappe, il trancha la main armée du Ratisseur, se replia avec grâce et élégance pour retrouver l’équilibre ainsi qu’une certaine puissance, puis il se fendit de nouveau… Avec une grande assurance, il enfonça sa lame dans les chairs de son adversaire, lui brisant quelques côtes au passage.

L’homme tomba raide mort, touché au cœur, sa curieuse expression de surprise se lisant encore sur son visage.

Sans prendre la peine d’essuyer sa lame, Berg’inyon se hâta de rejoindre ses frères d’armes. Il s’accroupit et se propulsa vers la maison. L’« interlude » l’avait à peine retardé. Pourtant, dès qu’il aborda le rez-de-chaussée, son regard ne se posait déjà plus que sur des cadavres d’humains.

Peu après, avant même que le sortilège passe-murailles lancé par le magicien prenne fin, l’équipe de Berg’inyon fit le point. Un franc succès : pas un drow blessé, aucun Ratisseur survivant…

Après leur départ, la maison ne contenait plus aucun trésor. Même les piécettes cachées sous les lattes du plancher et les meubles avaient été emportés.

Des flammes magiques consumèrent les sols et les cloisons. De l’extérieur, la bâtisse paraissait intacte et paisible.

L’intérieur n’était plus qu’une coquille vide calcinée.

Bregan D’aerthe avait délivré son message.

 

***

 

— Je refuse les accolades ! annonça Berg’inyon Baenre en rejoignant Rai-guy, Kimmuriel et Sharlotta.

Une expression drow se rapportant à l’insignifiance du vaincu… D’où l’impossibilité de tirer la moindre fierté d’une victoire.

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire…

Kimmuriel eut un sourire en coin.

— La maison a été prise et ses résidents exterminés. Tout s’est déroulé comme prévu. Je n’en retire aucune gloire, mais ça n’enlève rien aux faits.

Comme il l’avait fait toute la journée, Rai-guy continua d’étudier Sharlotta Vespers. Comprenait-elle la sincérité de Kimmuriel ? Et dans ce cas, commençait-elle à entrevoir la véritable nature du pouvoir qui s’implantait à Portcalim ?

Qu’une guilde élimine aussi radicalement la « planque » d’une organisation rivale n’était pas un mince exploit – à moins que les agresseurs soient des drows, précisément…

Et qui mieux que les elfes noirs saisissait les complexités des querelles intestines ?

Sharlotta en avait-elle conscience ? Et aurait-elle alors la stupidité de prétendre en tirer avantage ?

Sous son masque impavide perçait un soupçon de duplicité… Rai-guy eut l’intuition qu’on pouvait répondre aux deux questions par l’affirmative. Quasi certain que Sharlotta Vespers s’aventurait sur un terrain miné, le magicien sourit.

Le vieil adage de Menzoberranzan le disait bien…

Quiensin ful biezz coppon quangolth cree, a drow.

« Malheur à ceux qui croient comprendre les desseins des drows ! »

— Qu’a appris Jarlaxle pour modifier ainsi sa tactique ? demanda Berg’inyon.

— Il n’en sait encore rien, répondit Rai-guy. Il a choisi de rester à l’écart. La direction des opérations me revenait.

Berg’inyon allait reformuler sa question quand il se ravisa et s’inclina.

— Vous m’expliquerez peut-être par la suite les motifs d’une telle décision, afin que je cerne mieux nos ennemis, dit-il avec respect.

Rai-guy hocha légèrement la tête.

— Il faudrait aussi s’en expliquer auprès de Jarlaxle, rappela Sharlotta avec son étonnante maîtrise de la langue drow. Il ne s’inclinera pas si facilement devant votre initiative.

Au fond des prunelles rougeoyantes de Berg’inyon, Rai-guy surprit un éclair de colère. Naturellement, la remarque était fondée. Mais venant d’une non-drow, une iblith – le terme signifiait également excrément –, Berg’inyon ne pouvait que s’en offusquer. Un faux pas d’ordre mineur, peut-être… Mais si d’autres suivaient, dirigés contre le jeune Baenre, les restes de Sharlotta Vespers ne permettraient plus la moindre identification…

Le magicien relança le débat.

— Nous devons informer Jarlaxle. Pour nous, qui étions sur le terrain, ce revirement s’imposait. Mais lui s’étant isolé, peut-être trop, il ne verra sans doute pas les choses comme nous.

Kimmuriel et Berg’inyon lui lancèrent des regards intrigués. Pourquoi parlait-il soudain si ouvertement en présence de l’humaine ?

Discrètement, Rai-guy leur fit signe de continuer sur cette voie.

Kimmuriel saisit la balle au bond.

— Nous pourrions impliquer Domo et les rats-garous… Il faudra ensuite les exterminer aussi. (II se tourna vers Sharlotta.) Une mission qui vous échoirait en grande partie.

— Les soldats Basadoni furent les premiers à se replier, renchérit Rai-guy. Ils reviendront sans une goutte de sang sur leurs épées…

Trois paires d’yeux se posèrent sur Vespers.

Qui conserva un calme exemplaire tout en réfléchissant à voix haute.

— Va pour Domo et les rats-garous… Nous les compromettrons… Oui, ce sera l’idéal…, approuva-t-elle en y réfléchissant manifestement à la volée. Peut-être ignoraient-ils tout de nos plans. Mais, coïncidence, le Pacha Da’Daclan les a engagés pour garder les égouts. Comme nous ne désirions pas révéler notre présence à ce lâche de Domo, nous nous en sommes tenus aux secteurs non protégés – principalement le huitième.

Se consultant du regard, les trois drows lui firent signe de continuer.

— Oui…, enchaîna Sharlotta, gagnant en assurance. Je pourrai facilement tourner cet imprévu à notre avantage, et aux dépens du Pacha Da’Daclan. De sombres pressentiments l’agitaient. Et quand il apprendra la destruction de l’avant-poste, son angoisse augmentera. Il en viendra peut-être à croire que Domo est beaucoup plus fort qu’on le pensait grâce à son alliance secrète avec les Basadoni… Et donc que seul l’ancien partenariat de cette guilde avec les Ratisseurs a permis de limiter les dégâts.

— Mais cela ne compromettra-t-il pas aussi la Maison Basadoni ? lança Kimmuriel, jouant le porte-voix de Rai-guy.

Jusqu’où Sharlotta s’enfoncerait-elle ?

— Seulement dans la mesure où nous avons laissé faire… Nous n’avons joué aucun rôle dans l’histoire. En réaction aux multiples tentatives d’espionnage dirigées contre notre guilde, nous aurons simplement tourné la tête de l’autre côté… À condition de s’y prendre en finesse, Domo paraîtra plus puissant qu’il l’est en réalité. Si les Ratisseurs en concluent qu’ils ont échappé de peu au désastre, ils adopteront profil bas et seront beaucoup plus raisonnables… Jarlaxle tiendra sa victoire !

Elle afficha ensuite un large sourire, et les trois elfes noirs en firent autant.

— À vous de jouer, répondit Rai-guy en désignant l’échelle d’accès à la rue.

Souriant encore – pauvre idiote ! –, la femme tourna les talons et s’en fut.

— Nécessairement, à un degré ou à un autre, sa duperie visant le Pacha Da’Daclan abusera aussi Jarlaxle, fit remarquer Kimmuriel.

La jeune femme allait s’engluer dans une toile fatale, tissée par ses propres soins.

Berg’inyon décida de prendre le taureau par les cornes.

— Vous en venez à craindre que quelque chose cloche, chez lui ?

En d’autres circonstances, ses lieutenants ne seraient jamais allés à ce point contre les ordres de Jarlaxle.

— Ses vues ont changé, répondit Kimmuriel.

— Vous ne souhaitiez pas monter à la surface, ajouta Berg’inyon avec un sourire narquois qui semblait remettre en question les motivations de l’argumentation de ses compagnons.

— Non, et nous serons ravis de retrouver la fournaise de Narbondel, assura Rai-guy.

Il parlait de la grande horloge lumineuse de Menzoberranzan, une colonne de pierre marquant le passage du temps par incréments thermiques.

— Vous n’êtes pas ici depuis assez longtemps pour apprécier les côtés ridicules de l’endroit…, ajouta le magicien. Bientôt, vous vous languirez comme nous d’Outreterre.

— C’est déjà le cas, répondit Berg’inyon. Rien, à la surface du monde, ne trouve grâce à mes yeux. Aucune vue, aucune odeur ne m’attire. Et celles de Sharlotta Vespers encore moins !

— Cet imbécile d’Entreri et elle… ! pesta Rai-guy. Dire qu’ils ont la cote auprès de Jarlaxle !

— Ses fonctions au sein de Bregan D’aerthe touchent peut-être à leur fin, dit Kimmuriel.

Devant l’audace d’une telle déclaration, Berg’inyon et Rai-guy ouvrirent de grands yeux.

En vérité, tous les deux partageaient le même avis. Jarlaxle était allé loin en les emmenant à la surface du monde. Trop pour que la compagnie soit encore bien vue de ses anciens associés, au nombre desquels comptaient les plus grandes Maisons de Menzoberranzan… ? Ce pari avait déjà rapporté de fructueux dividendes, surtout avec ce flot croissant de denrées exotiques.

Néanmoins, il avait été question d’une brève incursion au soleil, histoire d’implanter quelques agents de choix pour faciliter les importations. En conquérant la guilde Basadoni et en renouant avec le dangereux Entreri, Jarlaxle avait aggravé les choses. Pour son amusement, il s’en était pris au renégat drow le plus honni, Drizzt Do’Urden… Puis, après avoir dérobé le redoutable artefact Crenshinibon, il avait épargné Drizzt, contraignant même Rai-guy à user d’un sortilège de guérison octroyé par la déesse Lolth elle-même…

Et maintenant ça ! Un coup risqué sans profits à la clé, dans un monde où nul drow, excepté Jarlaxle, ne désirait s’attarder…

S’il avait procédé jusque-là par petits bonds prudents, il n’en laissait pas moins derrière lui une longue piste tortueuse… Tout Bregan D’aerthe avec lui, il entraînait ses mercenaires loin des sentiers battus et des attraits qui avaient tant séduit Rai-guy, Kimmuriel, Berg’inyon et la plupart de ceux qui avaient rejoint l’organisation.

— Et Sharlotta Vespers ? lâcha Kimmuriel.

— Jarlaxle nous débarrassera du problème, assura Rai-guy.

— Elle a ses faveurs, rappela Berg’inyon.

— Elle vient de tisser une toile de duperie contre lui, répondit le magicien. Nous le savons, et elle sait que nous le savons. Elle ne tardera pas à s’aviser des implications désastreuses… pour elle ! Dorénavant, elle sera contrainte de nous obéir.

Le magicien drow sourit en réfléchissant à ce qu’il venait de dire. Il adorait voir des ibliths s’empêtrer dans les toiles mortelles de la société drow tout en apprenant progressivement à leurs dépens que les filaments gluants qui les constituaient se superposaient sur de nombreuses couches.

 

***

 

— Je connais ta faim, dit Jarlaxle. J’éprouve la même. Ce n’est pas ce que j’avais envisagé. Mais l’heure n’était peut-être pas venue.

— Tu accordes trop de confiance à tes lieutenants, souffla la petite voix, dans son crâne.

— Non. Ils ont vu quelque chose qui, à cause de notre faim, nous avait échappé. Ils sont pénibles, souvent agaçants et volontiers frondeurs quand leurs intérêts personnels entrent en conflit avec une mission donnée. Ce n’était pas le cas ici. J’examinerai l’affaire à la loupe. Il doit exister d’autres moyens, sans doute préférables pour atteindre nos objectifs.

La petite voix allait répondre quand Jarlaxle coupa court au dialogue.

Cette brutale remise en place rappela à Crenshinibon qu’il ne se trompait pas en respectant l’elfe noir. Jarlaxle avait une singulière force de caractère et une immunité innée aux envoûtements. L’antique artefact doué de conscience avait maté peu de gaillards de ce calibre. Même en comptant les seigneurs démons qui, au fil des siècles, s’étaient souvent unis à lui…

En vérité, le seul qui avait si bien su lui résister jusqu’à présent était le prédécesseur immédiat de Jarlaxle, Drizzt Do’Urden, un autre drow, dont les boucliers mentaux s’appuyaient sur la morale. Crenshinibon ne se serait pas davantage « cassé les dents » s’il avait tenté d’assimiler un prêtre du bien ou un paladin… Tas d’imbéciles aveugles au besoin d’atteindre une puissance supérieure !

Bref, la résistance de Jarlaxle était très impressionnante. Car ce drow-là, avait cru comprendre l’artefact, n’avait aucune règle de vie basée sur la morale. Il ne considérait pas l’Éclat de cristal comme une entité maléfique à éviter à tout prix. Non, pour autant que Crenshinibon ait pu en juger, aux yeux de Jarlaxle, tout être et toute chose croisés en chemin étaient des instruments susceptibles de le faire avancer sur la voie royale de la réussite.

L’artefact y creuserait des fourches et des embranchements. Voire des virages en épingle à cheveux, à mesure que le mercenaire s’aventurerait dans l’inconnu. Mais pour l’instant, il n’y aurait pas de changement brutal de direction.

Bien qu’il l’ait souvent fait par le passé, face à des obstacles coriaces, l’Éclat de cristal n’envisagea pas un instant de chercher une autre victime, plus malléable. Certes, Jarlaxle lui opposait une farouche résistance. Mais elle n’impliquait ni danger ni immobilisme. Le drow serait la plus grande source de puissance que Crenshinibon ait jamais connue.

Le fait que ce drow ne soit pas qu’un simple instrument au service du chaos et de la mort, comme la plupart des seigneurs démons, ni un humain crédule – sans doute le concept le plus redondant auquel l’artefact ait jamais songé –, le rendait d’autant plus intéressant.

Crenshinibon était persuadé qu’ils avaient une longue route à faire ensemble.

Et l’artefact atteindrait son plus haut niveau de puissance.

Le monde subirait d’insupportables souffrances !

Serviteur du Cristal
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